Des économies émergentes Aux Puissances émergentes - Vie Publique

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Regards sur le mondeDes économies émergentesaux puissances émergentesFrançois Lafargue *L’expression « pays émergents » est fréquemment employée pourdésigner les nouvelles grandes puissances économiques à l’échellemondiale, comme la Chine, l’Inde ou le Brésil.* François LafargueElle demeure pourtant équivoque. Quels sontest docteur en géopolitique et docteuren science politique. Il est professeur devéritablement les pays émergents et commentgéopolitique à l’ESG Management Schoolet enseigne également à l’École centralecontribuent-ils à construire le nouveau mondede Paris.multipolaire du xxi e siècle ?Le terme d’économie émergente estaujourd’hui galvaudé et peu précis, à l’instardes expressions « sud » ou « tiers-monde ».L’économiste Antoine Van Agtmael revendique lapaternité de l’expression « marchés émergents »qu’il a utilisée dès 1981 pour désigner certaineséconomies du tiers-monde alors en phase dedéveloppement avancé. En 2001, Jim O’Neill,économiste de la banque Goldman Sachs, parledu groupe BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine)pour désigner parmi les pays émergents quatreéconomies prometteuses. Plus récemment,Michael Geoghegan invente en 2010 l’acronymede CIVETS pour désigner le groupe constitué parla Colombie, l’Indonésie, le Vietnam, l’Égypte, laTurquie et l’Afrique du Sud.Si les pays à revenu intermédiaire (PRI) etles pays les moins avancés (PMA) 1 font l’objetd’une définition précise de la part des institutions politiques et financières internationales,celles-ci ne s’accordent pas sur la notion de « paysémergent ». Très fréquemment seuls les critèreséconomiques ou financiers sont pris en considération. L’Organisation de coopération et dedéveloppement économiques (OCDE) distingueainsi une vingtaine d’économies émergentes 2dont les principales caractéristiques sont : uneforte contribution à la croissance économiquemondiale, une amélioration des conditions de viede la population – qui se traduit par une hausse decertains indicateurs tels que le produit intérieur brut(PIB) par habitant ou l’indice de développementhumain – et une participation active aux échangesinternationaux. D’autres observateurs 3 soulignentpourtant la nécessité de distinguer les « économiesémergentes » des « puissances émergentes ». Cedernier qualificatif est plus restrictif et ne concerneque quelques États, appelés à exercer un rôle depremier plan dans les affaires internationales, depar leur poids économique et démographique,mais aussi leur capacité militaire et leur influencediplomatique.La Banque mondiale distingue, parmi les économies endéveloppement, les pays les moins avancés (PMA), où le revenuannuel par habitant est inférieur ou égal à 995 dollars, les pays àrevenu intermédiaire de tranche inférieure, où le revenu annuelpar habitant s’établit entre 996 dollars et 3 945 dollars, et ceux detranche supérieure (3 946 dollars à 12 195 dollars).2 Les économies émergentes recensées par l’OCDE sont l’Afriquedu Sud, l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, la Hongrie,l’Inde, l’Indonésie, l’Iran, la Malaisie, le Mexique, le Pérou, lesPhilippines, la Pologne, la République tchèque, la Thaïlande et laTurquie (voir graphique p. 103).3 Christophe Jaffrelot (dir.), L’Enjeu mondial. Les pays émergents,Presses de Sciences Po et L’Express, Paris, 2008.1Questions internationales nº 51 – septembre-octobre 2011101

Regards sur le mondeÉconomie émergente :quelle définition ?Des critères d’appréciationtrès diversPlusieurs critères permettent de définir uneéconomie émergente. Une progression de son commerce extérieursupérieure à celle des échanges internationaux.La part de la Chine dans le commerce internationalest passée de 3,65 % en 2000 à 9,6 % en 2009, ce quireprésente en valeur une augmentation de 380 % 4.Pendant cette même période, les échanges internationaux ont été multipliés par deux. Ce dynamismecommercial permet à ces États d’accumuler desréserves de change indispensables à l’acquisitionde technologies et de biens de consommationà l’étranger. En juin 2010, la Chine, la Russie,Taïwan, l’Inde et le Brésil figuraient parmi lespremiers détenteurs de réserves en devises. Lemontant des réserves de la Russie et du Brésil estcomparable à celui détenu par l’ensemble des Étatsde la zone euro. Une hausse régulière du PIB et du revenu parhabitant. En 1990, le Brésil, la Chine, l’Inde, laRussie et l’Afrique du Sud représentaient 8,4 %de la richesse mondiale. Cette part s’établit désormais à 16 % contre 24 % pour les États-Unis et27 % pour l’Union européenne. Avec un tauxde croissance annuel de 8 %, le PIB de l’Indedevrait dépasser celui de la France dès la fin de ladécennie 2010. Depuis 2000, le revenu par habitanten Chine a été multiplié par quatre, par trois auBrésil et en Inde. La croissance économique dansles pays émergents est soutenue par les exportationsde biens de consommation (Chine), de matièrespremières agricoles (30 % des exportations duBrésil) ou d’hydrocarbures (Russie).L’Inde est dans une situation particulière,puisque sa place dans le commerce mondial restefaible, avec 1,3 % des exportations mondialescontre 9,6 % pour la Chine. La croissance est principalement due à l’augmentation des exportations deservices – l’Inde est le premier exportateur mondialde logiciels, de progiciels et de services de traitement de données – et à la hausse des revenus dansles campagnes grâce aux progrès agronomiques.102Questions internationales nº 51 – septembre-octobre 2011 La présence de capitaux étrangers placéssur une longue durée. Parmi les économies endéveloppement, les principaux récipiendairesdes investissements directs étrangers (IDE) sontla Chine, le Brésil, le Mexique, la Russie, l’Inde,l’Arabie saoudite et l’Afrique du Sud. En 1990,ces sept économies ne recueillaient que 5,3 % dumontant des investissements étrangers placés dansle monde 5. Cette proportion s’établit désormais à10,5 %. Le montant des IDE investis dans ces septpays (1 870 milliards de dollars en 2010) atteint60 % du montant des capitaux placés aux ÉtatsUnis. Les premiers investisseurs en Chine commeen Inde sont issus des communautés nationalesvivant à l’étranger. Ainsi Hong Kong, Taïwan etSingapour détiennent 60 % des IDE en Chine,contre 9 % pour les États-Unis. Ces capitaux sontplacés non dans un but spéculatif, mais pour menerdes projets de développement à long terme. Des entreprises de taille mondiale implantées dans plusieurs pays et dont le capital esten majorité, ou en partie, détenu par des actionnaires privés. Parmi les 500 premières entreprises mondiales classées selon leur capitalisationfigurent déjà de nombreuses sociétés chinoises(comme Petrochina et la China National PetroleumCorporation), indiennes (Reliance, Oil and NaturalGas Corporation) et brésiliennes (Petrobras, Vale).Ces entreprises développent leurs activités àl’étranger. Ainsi, pour la première fois, les capitauxbrésiliens placés à l’étranger ont été en 2008 d’unmontant supérieur à ceux venus de l’étranger etaccueillis dans le pays. La Chine a été en 2009le cinquième investisseur mondial, ses investissements se concentrant pour les deux tiers enAsie. Entre 2000 et 2009, le montant du stock desinvestissements directs à l’étranger du Brésil, dela Chine, de l’Inde et de la Russie a été multipliépar sept.Ces investissements concernent tous lessecteurs d’activité économique : la constructionautomobile – avec les achats des constructeursautomobile Jaguar par l’indien Tata et Volvo parle chinois Geely –, l’agroalimentaire – le brésilienDonnées de l’Organisation mondiale du commerce, Statistiquesdu commerce international, 2010.5 Données de la Conférence des Nations Unies sur le commerceet le développement (CNUCED).4

Des économies émergentes aux puissances émergentesÉgypteFMI / OCDEArgentineIndeIndonésieAfrique du hilippinesVietnamMexiqueRussiePérouRép. tchèqueColombieHongrieCorée du Goldman SachsProchains pays émergents ou «New-11» selon Goldman SachsSource : d’après François LafargueJBS, qui est le premier producteur et transformateurau monde de viande de bœuf, a notamment pris lecontrôle de plusieurs de ses concurrents en Europeet aux États-Unis –, les hydrocarbures – rachatpar des entreprises chinoises du canadien AddaxPetroleum et de l’argentin Bridas. Il s’agit également de prises de participation par le biais de fondsd’investissement privés ou publics. L’État chinoisà travers l’agence publique State Administration ofForeign Exchange, gestionnaire de ses réserves dechange, détient 1,6 % du capital de Total et 1,1 %de celui de British Petroleum. Le russe DigitalSky Technologies a pris des participations dansde nombreuses sociétés informatiques comme lamessagerie ICQ ou le réseau social Facebook. Une économie diversifiée qui ne reposepas seulement sur l’exportation de matièrespremières. Ce critère pourrait a priori éliminerla Russie, dont 70 % des exportations sont constituées par les hydrocarbures et les produits miniers.Or, depuis la fin des années 1990, l’économierusse a connu une profonde évolution avec uneprogression des activités du secteur tertiaire (quiassurent 60,5 % du PIB) qui a favorisé l’apparitiond’une classe moyenne. Le taux d’équipement desménages en véhicules particuliers a été multipliépar deux depuis 2000. Une économie émergente offre des perspectives prometteuses grâce à son dynamismedémographique et au nombre croissant deRéalisation : Roberto Gimeno et Atelier de cartographie de Sciences Po. Dila, Paris, 2011Les pays émergents selon.consommateurs. La seule augmentation annuellede la population en Chine, en Inde et au Brésil(460 millions en 2008) correspond à la populationde l’ensemble des pays de l’Union européenne.En 2009, la Chine est devenue le premier marchéautomobile mondial devant les États-Unis, avecla commercialisation de 13 millions de véhiculesparticuliers neufs. Cette même année, 100 millionsde téléphones mobiles se sont vendus en Inde, soittrois par seconde. Les marges de progression sontimportantes puisque, en mai 2010, seulement lamoitié des Indiens disposaient d’un téléphonecellulaire et 1,6 % d’un véhicule – contre, respectivement, 95 % et 59,8 % en France.Les marchés émergents intéressent vivementles entreprises occidentales. Le constructeurautomobile français PSA réalise déjà 16 % de sesventes en Amérique latine et en Chine. La Chineest l’un des premiers marchés pour LVMH ouMichelin. Danone compte déjà autant de salariésen France qu’en Chine. L’excédent commercialstructurel de l’Allemagne s’explique principalement par le volume de ses exportations vers lespays émergents. La Chine et la Russie achètent8 % des exportations allemandes, soit en valeurcinq fois plus que la France.En 2050, l’Indonésie devrait compter environ345 millions d’habitants et le Brésil 215 millions.Néanmoins, une forte population n’est pas en soiun critère suffisant pour être qualifié d’économieQuestions internationales nº 51 – septembre-octobre 2011103

Regards sur le mondeémergente. Le Nigeria comme l’Éthiopie – qui,en 2050, seront sans doute respectivement ausixième et au neuvième rangs des pays les pluspeuplés au monde 6 – ne peuvent pas être classésdans cette catégorie, à cause de leur très grandretard économique – le revenu par habitant enÉthiopie est quatre fois inférieur à celui de l’Inde.De même, ni l’Argentine ni l’Arabie saoudite, quisont pourtant membres du G20 mais dont le poidsdémographique est très faible, ne peuvent êtrequalifiées d’économie émergente.Enfin, l’adhésion à une zone de libre-échangeou à une union douanière constitue un atout pourl’investisseur étranger. Le Brésil, avec le Marchécommun du Sud (Mercosur), et l’Afrique duSud, avec la Communauté de développement del’Afrique australe (SADC), offrent un vaste marchéaux entrepreneurs présents sur leur sol. L’optimisme envers l’avenir et l’enthousiasme porté par leur jeunesse sont égalementdes traits culturels de ces sociétés. En Inde, letiers de la population a moins de 15 ans. À la différence du sentiment qui règne en Europe de l’Ouest,les jeunes générations sont convaincues que leurvie sera meilleure que celle de leurs aînés. Cetteconfiance est souvent confortée par un desseinpolitique. Pour la Chine, il s’agit de renouer avecl’époque où l’empire des Ming était la premièreéconomie du monde et de mettre aussi un terme àl’humiliation subie à partir du milieu du xixe siècle,avec les guerres de l’Opium, puis l’occupation parles armées européenne et japonaise. Pour l’Afriquedu Sud, les élites noires poursuivent leur rêve defonder une société débarrassée des oripeaux de laségrégation raciale, et qui serait un modèle pourl’ensemble du continent africain.Économies émergenteset marchés potentielsCes critères permettent de distinguerdeux catégories de pays émergents. Le Brésil, laChine, l’Inde répondent sans conteste aux critèresprincipaux et peuvent être qualifiés d’économiesémergentes. La Russie peut également entrerdans cette première catégorie, mais de manièreplus discutable. Grâce à la hausse des cours dupétrole, le PIB de la Russie a été multiplié par dixdepuis 2000, assurant au Russe moyen un revenu104Questions internationales nº 51 – septembre-octobre 2011supérieur de 60 % à celui d’un Brésilien. Mais, endépit de certaines mesures natalistes prises par leprésident Dmitri Medvedev, le déclin démographique du pays se poursuit, puisque la populationde la Russie est passée, depuis 1990, de 148 à142 millions d’habitants. À ce rythme, elle devraits’établir autour de 100 millions vers 2050.Les économies émergentes se caractérisenttoutes par leur forte dépendance commerciale àl’égard des États-Unis, de l’Union européenne et duJapon. Ces trois ensembles économiques absorbentla moitié des exportations du Brésil, de la Chineet de la Russie. Les échanges commerciaux entrepays émergents restent encore limités, à cause deleur faible complémentarité – l’Inde ne représenteainsi que 1,4 % du commerce de la Russie. Seulela Chine fait figure d’exception, puisqu’elle est,après l’Union européenne, le deuxième partenairecommercial de la Russie, de l’Inde et du Brésil,qui est aussi l’un de ses principaux fournisseursde matières premières agricoles – soja, viandes debœuf, volailles.Le Mexique, l’Afrique du Sud, l’Indonésie, laTurquie ou encore la Thaïlande peuvent être considérés comme de potentiels marchés émergents,mais sous certaines conditions. Le Mexique doitdavantage diversifier son économie, car la quasitotalité des exportations reste constituée par leshydrocarbures et des produits manufacturés àfaible valeur ajoutée. La situation de l’Afriquedu Sud est plus ambiguë. L’abrogation des loisd’apartheid puis l’instauration de la démocratie ontpermis l’apparition d’une classe moyenne noire 7.Mais l’économie repose toujours sur l’extractiondes matières premières minières, et la fragilité desinstitutions démocratiques comme l’ampleur del’épidémie de sida compromettent l’avenir du pays.Pour de nombreux autres États, il est prématuré de parler de « marché émergent » pour desraisons d’instabilité politique (Pakistan, Égypte) ouà cause de la faiblesse de leur population et, partant,de la taille limitée de leur demande intérieuresolvable (Taïwan).Gilles Pison, « Tous les pays du monde (2009) », Population etsociétés, no 458, INED, juillet-août 2009.7 À propos de l’évolution de l’Afrique du Sud, voir F. Lafargue,« Afrique du Sud : une démocratie entre amertume et espoirs »,Questions internationales, no 35, janvier-février 2009, pp. 103-111.6

Des économies émergentes aux puissances émergentesDe la puissanceéconomiqueà l’influence politiquePIB par habitant (1974-2009)En dollars constants de 2000Consoliderle statut de puissance émergenteL’enjeu pour ces puissances émergentesest d’encourager le retour de leur élite, afin deprendre une part plus active dans la recherchescientifique locale et de participer à la créationd’écoles à l’excellence reconnue. Aujourd’hui,dans le classement des meilleures formationsuniversitaires réalisé par l’université Jiao Tong deShanghai, le premier établissement russe ne figurequ’au 74e rang. Et aucune université tant au Brésilqu’en Chine ou en Inde ne parvient à se classeravant le 100e rang.La Chine est devenue en 2008 le cinquièmedépositaire mondial de brevets après le Japon, lesÉtats-Unis, la Corée du Sud et l’Allemagne. Cesinnovations permettront à ces entreprises d’imposerleur propre norme industrielle et de combler leretard avec l’Occident. En Russie, la majorité dela population adulte a suivi une formation dansl’enseignement supérieur contre une moyenne d’unquart dans les pays de l’OCDE.L’autre priorité est d’offrir à l’investisseurétranger un environnement juridique rassurant. Or,selon les critères de la Banque mondiale 8, la facilité30 000Amériquedu Nord25 00020 00015 000Réalisation : Roberto Gimeno et Atelier de cartographie de Sciences Po. Dila, Paris, 2011Plusieurs défis doivent être relevés pourjustifier, du point de vue économique, l’appellation de puissances émergentes attribuée aux BRIC.Les économies émergentes sont parvenues à formerune élite scientifique de haut niveau, mais qui,pour le moment, choisit fréquemment de partir enOccident, plus particulièrement aux États-Unis quioffrent l’environnement le plus propice à l’entreprenariat. Une grande partie des innovations dans laSilicon Valley en Californie sont d’ailleurs à mettreau crédit d’ingénieurs ou de chercheurs étrangerscomme les Indiens Sabeer Bhatia (cofondateur deHotmail) et Arun Netravali (inventeur du formatMPEG), le Chinois de Taïwan Jerry Yang (cofondateur de Yahoo) et le Russe Sergei Brin (cofondateurde Google). Un tiers des étudiants étrangers auxÉtats-Unis sont originaires d’Inde, de Chine et deTaïwan.35 000Unioneuropéenne10 000Europe etAsie centrale5 000Asie de l’Est et PacifiqueMondeM-O et Afr. du N.Am. latine et CaraïbesAsie du Sud0197419791984Afrique subsaharienne19891994199920042009Source : Banque mondiale, http://data.worldbank.orgde mener des affaires – durée et complexité desdémarches administratives, protection des investisseurs, exécution des contrats – classe l’Afrique duSud au 34e rang mondial, la Chine au 79e, la Russieau 123e, le Brésil au 127e et l’Inde au 134e rang.Rapport de la Banque mondiale et de la Société financièreinternationale, Doing Business 2011 : Agir pour les entrepreneurs,2010.8Questions internationales nº 51 – septembre-octobre 2011105

Regards sur le mondeCroissance entre 2000 et 2008 (en s-Unis69,5150 % moyenne mondialeSource : OMC, Statistiques du commerce international 2010,http://www.wto.org/french/res f/statis f/its2010 f/its10 toc f.htmS’affirmer comme acteur politiqueParmi les pays émergents, les membres dugroupe BRIC ont donné une dimension institutionnelle à leur association, avec l’instaurationd’un sommet annuel dont le premier s’est tenuen juin 2009 à Ekaterinbourg (Russie). Lors du3e sommet du groupe BRIC réuni à Sanya enChine en avril 2011, l’Afrique du Sud a été invitéeà rejoindre cet ensemble devenu, dès lors, le« BRICS ». La participation de l’Afrique du Sudpeut sembler moins légitime que celles d’économies plus dynamiques comme la Turquie. Maisavec l’Afrique du Sud, le groupe BRICS représente les cinq continents. Ces cinq États souhaitentdéfinir des positions communes dans le domaineéconomique – à propos de la réforme du systèmefinancier international – et diplomatique.Fortes de leur poids économique croissant,les puissances émergentes avaient obtenu l’assurance lors du G20 de Pittsburgh (septembre 2009)d’une plus juste représentation au sein des organisations internationales. La Banque mondiale commele Fonds monétaire international (FMI) ont entrepris une réforme de leur statut, qui offre davantagede poids aux pays émergents. Le Brésil, la Russie,l’Inde et la Chine disposeront à partir de 2014 de13,5 % des droits de vote au sein du FMI contre8,98 % en 2010. Ce rééquilibrage permettra à laChine d’être le 3e actionnaire de ces deux institutions, qui restent toutefois largement contrôlées parles nations occidentales (les États-Unis et l’Union106Questions internationales nº 51 – septembre-octobre 2011Réalisation : R. Gimeno et Atelier de cartographie de Sciences Po. Dila, Paris, 2011Progression du commerce mondialeuropéenne détiendront encore 45,9 % des droits devote au FMI). L’Inde, le Brésil et l’Afrique du Suddéfendent aussi une réforme du Conseil de sécuritédes Nations Unies et souhaitent disposer d’un siègede membre permanent. En 2005, l’Inde a été, avecl’Allemagne, le Brésil et le Japon, à l’origine d’uneproposition destinée à élargir le Conseil de sécuritéde quinze à vingt-cinq membres, en créant sixnouveaux sièges de membres permanents – dontdeux pour les pays du continent africain – et quatresièges de membres non permanents. Mais cetteinitiative n’a pas suscité l’intérêt attendu.De manière plus générale, les puissancesémergentes rejettent la domination euro-américaine dans la gestion des affaires internationales.Le recours à la force, l’ingérence dans les affairesintérieures des États et, plus généralement, ladéfense de certaines valeurs universelles font l’objetde critiques régulières. Au Conseil de sécurité del’ONU, l’Afrique du Sud, qui siège comme membrenon permanent (en 2007-2009 et depuis 2011), a ainsiété, avec la Chine, un soutien constant du présidentdu Zimbabwe, Robert Mugabe. Le Brésil commel’Inde, pourtant dotés d’institutions démocratiques,se sont parfois ralliés aux positions défendues parla Chine ou la Russie en se montrant par exempleréticents à sanctionner l’Iran pour son programmenucléaire. Ces quatre États se sont abstenus lorsdu vote de la résolution 1973 de mars 2011, quiautorisait l’intervention de l’Organisation du traitéde l’Atlantique Nord (OTAN) contre le régimedu colonel Kadhafi. Lors du sommet de Sanya,les BRICS ont vigoureusement critiqué le soutienapporté par les Occidentaux aux insurgés libyens.Les BRICS ont par ailleurs engagé un effortsoutenu de modernisation de leurs forces armées.Les budgets militaires de ces cinq pays représententaujourd’hui 34 % de celui des États-Unis contre26 % en 2000. Depuis 2005, le budget de la défensedu Brésil a augmenté de 40 % et celui de l’Inde de25 %. En 2012, l’Inde devrait achever la construction de son premier sous-marin, lanceur de missilesà tête nucléaire. Le Brésil, après avoir acheté leporte-avions Foch à la France, souhaite moderniser ses moyens aériens. L’armée de l’Afriquedu Sud s’est également dotée de matériel récentavec l’acquisition de trois sous-marins, auprès deThyssen, et d’avions de combat Gripen. Cet efforts’explique par la volonté de participer davantage

Des économies émergentes aux puissances émergentesEn 201110 000IndeItalieRussieBrésil2 750FranceRoy.-UniAllemagne0Chine0Japon6 5165 0005 00010 00015 00020 00025 00030 000Produit intérieur brut(en milliards de dollars constants)35 000En 205040 00045 000Sources : FMI, World Economic and Financial Surveys, World EconomicOutlook Database, avril 2011 ; Dominic Wilson et Roopa Purushothaman,« Dreaming With BRICs: The Path to 2050 », Global Economics Paper,n 99, Goldman, Sachs & Co., New York, 1er octobre 2003.Réalisation : Roberto Gimeno et Atelier de cartographie de Sciences Po. Dila, Paris, 2011Les BRICS adoptent des stratégies divergentes pour peser sur la scène internationale. L’Indeet le Brésil, qui partagent une certaine proximitéculturelle avec les États-Unis, souhaitent uneévolution en leur faveur des institutions économiques et politiques internationales, en privilégiant la négociation. En 2008, l’Inde est parvenueà obtenir de l’Agence internationale de l’énergieProduit intérieur brut(en milliards de dollars courants)3 150S’ils peuvent ponctuellement s’entendrepour défendre leurs intérêts, les pays émergents neforment pas un tout cohérent. De nombreux sujetsde discorde existent entre membres du groupeBRICS, à propos de la sous-évaluation du yuan, oude la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU – laChine ne souhaite pas son élargissement à l’Inde,et la Russie refuse de doter les nouveaux membresdu Conseil de sécurité d’un droit de veto. Plusieurscontentieux frontaliers subsistent entre l’Inde et laChine dans les régions du Cachemire et de l’Arunachal Pradesh. Le Brésil est également inquiet dusoutien apporté par Pékin au Venezuela d’HugoChavez. Au sein de l’Organisation mondiale ducommerce, les puissances émergentes ne partagentpas les mêmes intérêts. Ni la Russie, ni la Chine, nil’Inde, dont les agricultures ne sont guère compétitives, n’ont rejoint le Brésil et l’Afrique du Suddans le groupe de Cairns, dont les membres militentpour une libéralisation des échanges commerciauxagricoles. Enfin, une profonde asymétrie est àrelever en faveur de la Chine, qui contribue à plusde la moitié du PIB des BRICS et assure près desdeux tiers du commerce extérieur de cet ensemble.Les membres du BRICS sont davantage liés parune entente tactique que par une véritable alliance.15 000États-UnisDivergences d’intérêtset de méthodes au sein des BRICSPrincipales puissances économiques44 450aux opérations de maintien de la paix des NationsUnies, afin d’obtenir une reconnaissance internationale et, partant, légitimer leur participationau Conseil de sécurité. En 2011, l’Inde est l’undes tout premiers pourvoyeurs de casques bleus,8 500 hommes étant déployés, principalement enAfrique, au Sahara occidental et au Soudan. LeBrésil comme l’Afrique du Sud s’engagent également activement dans la résolution des crises régionales. Le Brésil est ainsi le premier contributeur dela Mission des Nations Unies pour la stabilisationen Haïti (MINUSTAH).atomique (AIEA) un amendement au Traité sur lanon-prolifération des armes nucléaires (TNP). Bienque n’ayant pas signé le TNP, l’Inde peut désormais faire l’acquisition de technologies civiles àl’étranger. En revanche, la Russie comme la Chinen’hésitent pas à engager un rapport de force avecQuestions internationales nº 51 – septembre-octobre 2011107

Regards sur le mondel’Occident. La Russie, depuis l'arrivée au pouvoirde Vladimir Poutine en 2000, utilise le gaz et lepétrole comme un instrument d’influence diplomatique envers les anciennes républiques de l’URSS,mais également des pays de l’Union européenne.Elle a été l’un des principaux artisans de la création,en 2001, du Forum des pays exportateurs de gaz(FPEG) qui pourrait, à terme, devenir une organisation mondiale du gaz, sur le modèle de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP).La Chine conjugue pour sa part une diplomatie d’influence et l’usage de la force. Par sesaides et ses investissements – comme en faveurdes pays les plus fragiles de la zone euro –, Pékins’assure le soutien ou la bienveillance de plusieursgouvernements. En parallèle, la Chine n’hésite pasà recourir à la force pour défendre ce qu’elle jugeêtre du domaine de ses intérêts vitaux, comme sasouveraineté sur les îles Spratley et les Paracels.La marine chinoise arraisonne ainsi régulièrementdes bâtiments étrangers accusés de violer ses eauxterritoriales.*Les puissances émergentes ne constituentpas seulement un défi pour les économies industrialisées. Elles contribuent à dessiner un monde108Questions internationales nº 51 – septembre-octobre 2011multipolaire, qui s’éloigne des valeurs occidentales. La Chine, la Russie, l’Inde et même le Brésilne partagent pas, à des degrés divers, les normesdémocratiques : droits syndicaux, respect desminorités, statut social des femmes, lutte contreles pratiques discriminatoires. Dès lors, le poidsgrandissant de ces États au sein des institutionsinternationales pourrait constituer un nouveau défidans le combat pour le respect des droits humainsfondamentaux. nPour en savoir plus Andrew Mold (dir.),Perspectives du développement mondial 2010.Le basculement de larichesse, Éditions OCDE,Paris, 2010 Jim O’Neill, « BuildingBetter Global EconomicBRICs », Global EconomicsPaper, no 66, Goldman,Sachs & Co., New York,30 novembre 2001 Goldman Sachs GlobalEconomics Group, BRICsand Beyond, The GoldmanSachs Group, New York,2007 Dominic Wilson et RoopaPurushothaman, « DreamingWith BRICs : The Path to2050 », Global EconomicsPaper, no 99, Goldman,Sachs & Co., New York,1er octobre 2003 Dominic Wilson et AnnaStupnytska, « The N-11 :More Than an Acronym »,Global Economics Paper,no 153, Goldman SachsEconomic Research, NewYork, 28 mars 2007 Mondialisation : unegouvernance introuvable,Questions Internationales,no 43, mai-juin 2010

(PIB) par habitant ou l'indice de développement humain - et une participation active aux échanges internationaux. D'autres observateurs 3 soulignent pourtant la nécessité de distinguer les « économies émergentes » des « puissances émergentes ». Ce dernier qualificatif est plus restrictif et ne concerne